10 juin 2025
Déplacements mobilités
Adobestock
Le Cerema a organisé les Rencontres de la Modélisation des Déplacements (RMD) les 19 et 20 mai 2025 à Champs-sur-Marne. Cet évènement, consacré aux modèles de transports utilisés aujourd’hui pour élaborer des projets et des politiques de mobilités, a réuni sur deux journées plus de 160 participants venus d’horizons variés pour échanger sur les pratiques concernant l’élaboration et l’utilisation de ces outils d’aide à la décision.

Les RMD ont pour objectif de proposer tous les deux ans un espace de rencontres et d’échanges entre les acteurs de la modélisation. Cette réunion de la communauté professionnelle vise à améliorer les modèles opérationnels et leurs usages actuels par les acteurs publics des territoires (collectivités locales, services de L’Etat, opérateurs de transports) et les ingénieries privées et publiques associées. Les modèles statiques et dynamiques y sont abordés.

Ces rencontres 2025 avaient pour idée directrice la nécessaire adaptation des modèles pour répondre aux enjeux actuels posés par l’évolution des mobilités. Si historiquement, les modèles se sont développés pour dimensionner des infrastructures de transports, aujourd’hui les attentes autour de ces outils sont multiples : dimensionner et évaluer des services de mobilité, accompagner le développement des modes actifs, aider à construire des politiques qui intègrent de multiples dimensions, déterminer les politiques le plus efficaces pour atteindre la  décarbonation des transports…

Si les méthodes traditionnelles restent légitimes et s’améliorent de manière continue, il est important d’intégrer de nouvelles approches pour que la communauté des modélisateurs ait à sa disposition une palette d’outils permettant de répondre aux attentes.

Ces rencontres se sont déroulées en trois temps (cf. programme)

  • Des sessions thématiques
  • Une table ronde
  • Une séance de stands 

 

Sessions thématiques

1/ Modèles et territoires

La session "Modèle et territoire" a réuni des présentations sur des problématiques très diverses à des échelles géographiques hétérogènes. Cette session avait pour objectif de mettre en lumière les capacités d'adaptation méthodologique de la modélisation des déplacements pour répondre à des besoins bien précis.

Les modélisateurs disposent d'un bagage de méthodes consolidées et éprouvées, dont le modèle statique multimodal des déplacements (modèle souvent appelé simplement modèle à 4 étapes), est le plus répandu des ambassadeurs. Son principe de construction et de fonctionnement codifié et de nombreuses fois répliqué est un gage de confiance pour les décideurs. Certaines questions précises ou problématiques, cependant, échappent au domaine de pertinence des analyses possibles à partir d'un modèle standardisé. 

Il est ainsi nécessaire pour les modélisateurs de construire un outil ou une méthode ad hoc en partant du besoin d'évaluation ou de connaissance. Au cours de la session, plusieurs présentations se sont enchaînées et ont permis d'illustrer l'apport de méthodologies "sur mesure" pour enrichir le corpus méthodes disponible. L'exemple du modèle d'Angers dans lequel un module de stationnement directement dépendant du volume de places offertes et de la tarification ajoute un élément supplémentaire d'analyse au cœur d'un modèle 4 étapes. 

Les travaux présentés par SNCF Réseau et Setec d'une part, sur une enquête de préférences déclarées visant à mieux cerner les déterminants de report vers le transport ferroviaire dans le cadre du déploiement des SERM, et par Ecov, sur un modèle multi-agent permettant d'estimer un potentiel de massification de la demande de transport à 3 échelles par le biais des SERM ferroviaires, des S.E.R (services express routiers) et des lignes de covoiturage, démontrent l'intérêt croissant de l'évaluation des transports massifiés de moyenne distance. Enfin, la présentation d'Ile de France Mobilités sur la prévision de la fréquentation des Jeux Olympiques est un cas d'école de l'adaptation des outils disponibles à des objets bien particuliers sur lesquels les bonnes pratiques liées aux cas d'usage classiques n'existent pas.

La session a témoigné de l'intérêt certain du public présent pour ces sujets et d'une manière générale pour le développement de nouvelles méthodes qui viennent toujours plus enrichir la boîte à outil des modélisateurs.

 

Les présentations :

2/ Modèles et environnement

La session "Modèles et Environnement" comprenait 4 interventions portant sur l’enjeu de mieux cerner l’impact des mobilités et des infrastructures sur l’environnement et la santé. Les méthodes d’évaluation d’impact sur la qualité de l’air, le bruit ou encore les émissions de GES nécessitent d’utiliser des données d’entrées estimant le trafic prévisionnel, bien souvent obtenues au travers de différents outils de modélisation. Les différentes présentations ont permis d’illustrer l’implémentation au sein même des chaînes de modélisation des déplacements de nouveaux modules permettant d’intégrer ces enjeux et de permettre aux décideurs de disposer d’une plus large palette d’indicateurs.

Les travaux présentés par le Cerema ont montré l’opportunité et la faisabilité de coupler le module CopCerema à un modèle multimodal de déplacements à l’échelle de la Métropole de Rouen Normandie, permettant ainsi d’estimer les émissions de polluants atmosphériques et les GES issus du trafic routier.

L’exercice de modélisation proposé par Neovya pour le compte de la Collectivité Européenne d’Alsace intègre un couplage de l’évaluation du trafic routier, et aussi des impacts sur la qualité de l’air et sur le bruit. Le travail présenté expose une première approche allant jusqu’à l’estimation de la diffusion spatiale de ces effets. L’IFPEN a présenté une étude mobilisant de la modélisation multi-agents afin de construire un jumeau numérique permettant d’évaluer les effets de la mise en place de diverses restrictions ZFE-m autour de Paris. L’impact de la ZFE-m a pu ainsi être évalué sur plusieurs axes majeurs traversant le territoire de Versailles Grand Parc, situé en périphérie de la zone de restriction. Enfin, SYSTRA a présenté le modèle multimodal développé pour la région Sud, au moyen de la bibliothèque open-source Quetzal, personnalisé et optimisé pour répondre aux enjeux régionaux. Plusieurs scénarios à l’échelle régionale pour décarboner les mobilités ont ainsi pu être testés.

La séance de présentation s’est poursuivie avec de nombreux échanges entre la salle et les intervenants qui ont pu ainsi évoquer les évolutions prochaines de leurs outils qui appelleront probablement de nouvelles études et présentations ultérieures.

3/ Modèles et vélos

La séquence sur "le vélo dans la modélisation" a permis d'illustrer différentes approches pour traiter une problématique nouvelle. Mode dont l'usage est en forte croissance depuis quelques années, de manière particulièrement marquée depuis la période COVID, et faisant l'objet d'attentes ou d'objectifs de parts modales particulièrement élevés (doubler, voir tripler la part en quelques années), il est particulièrement difficile à modéliser pour de nombreuses raisons : multitudes de facteurs explicatifs (infrastructurels, démographiques, sociaux, géographiques, climatiques etc.), données disponibles peu adaptées ou encore à structurer, importance des choix de comportement individuels notamment. 

Trois des présentations ont ainsi permis d'illustrer comment travailler sur les données pour mieux comprendre l'usage du vélo : recueils de traces GPS de volontaires pour comprendre les vitesses pratiquées selon la géographie et le type d'usager, exploitation des données de comptage pour estimer la fréquentation vélo sur l'ensemble du réseau et enquête de préférences déclarées sur le choix d'itinéraire et de mode pour cerner les évolutions possibles de comportements. 

L'intégration du vélo dans les modèles a fait l'objet de trois présentations, avec notamment des explorations des spécifications et calibrage des modèles d'affectation pour reproduire les comptages, de prise en compte des différentes échelles d'analyses possibles (les questions de dimensionnement devenant de plus en plus prégnantes avec l'augmentation de la pratique) et de positionnement du report modal vers le vélo dans la chaîne de calcul (une part importante du report constaté ces dernières années venant de la voiture). Ces premiers travaux s'avèrent prometteurs sur la possibilité de mettre au point des outils utiles pour l'aide à la décision ; des approfondissements sont attendus, avec notamment une démarche nationale entre le Cerema et les métropoles permettant de partager ces innovations et l'apport d'une enquête de préférences déclarées nationale en cours de réalisation.

Les présentations :

4/ Nouvelles mobilités, Nouveaux comportements, nouvelles méthodes

La session a abordé certains défis qui s'imposent aujourd'hui à la prévision de la mobilité et à l'organisation des services et réseaux de transport : les mutations technologiques et de la donnée, la transition en lien avec le changement climatique. L'élargissement du champ des problématiques à traiter par ces outils impose une adaptation des outils opérationnels existants, mais aussi l'emploi d'outils innovants issus de la recherche. La modélisation est alors amenée à tenir compte de la diversité des territoires, publics, mobilités d'une part, des exigences de planification écologique et des changements de comportement d'autre part. 

Dans un premier sujet, il a été évoqué l'amélioration du modèle statique d'agglomération de Lyon en lien avec l'essor de l'offre et de la pratique du vélo. L’idée était ici d’utiliser un transfert de paramètres de modèles entre deux agglomérations (de Strasbourg à Lyon) pour actualiser un modèle basé sur une enquête ménage ancienne. 

Ensuite, l'utilisation de modèles multi-agents a été abordée dans deux interventions : l'une sur l'étude des besoins d'infrastructures de recharge de véhicules électriques à Paris-Saclay, l'autre pour l'estimation du potentiel de fréquentation de services de transport à la demande à Sarrebourg. Ces approches sont très fines et permettent d’explorer des sujets non traités par les modèles statiques agrégés traditionnels. Leur finesse requiert des données et des outils spécifiques qui sont de plus en plus accessibles.

Enfin, sur une échelle plus large, un dernier sujet a présenté l'avancement des travaux de mise à jour du modèle national voyageurs et marchandises MODEV. Ce travail nécessite une très forte compilation de données notamment d’offre de transports. Une difficulté réside notamment dans la nouvelle enquête nationale (EMP 2019) qui avec des effectifs moindres ne permet pas la constitution de matrice de niveau régionale. Les travaux présentés dans cette session ont mis en lumière des solutions prometteuses pour relever les défis actuels et à venir. Ils illustrent la capacité des outils de modélisation à se renouveler, à se réinventer pour continuer de répondre aux attentes des collectivités.

Les présentations :

Table ronde / Présent et futur des modèles multimodaux : regards croisés entre praticiens et chercheurs

La table ronde a permis de dresser les principaux constats autour de l’utilisation actuelle des modèles de déplacement ainsi que certaines pistes d’améliorations qui pouvaient être envisagées. Elle a réuni trois chercheurs et trois praticiens issus de collectivités territoriales, permettant ainsi de croiser les regards entre les corps de métier. 

L’échange s’est structuré en deux temps principaux : le premier consacré aux constats autour des modèles actuels et le second aux perspectives d’améliorations.

 

Les constats

Nicolas Coulombel (LVMT) a ouvert la table ronde en dressant un panorama des différents types de modèles utilisés aujourd’hui. Il a également rappelé que la limite commune principale à l’ensemble des modèles venait des données utilisées. Les problématiques liées aux données sont d’ailleurs revenues durant l’ensemble de la table ronde (notamment en lien avec les "nouveaux modes". Il a également rappelé que l’intermodalité était un sujet globalement très peu traité). Il préconisait l’instauration d’un observatoire des données de mobilité à l’échelle nationale afin de répondre aux enjeux de gouvernance et de centralisation des données. Il a enfin rappelé que les améliorations des modèles seront coûteuses quoi qu’il advienne, que ce soit financièrement ou en moyens humains.

Julien Hervé (EmS) est ensuite intervenu pour évoquer le sujet des "nouveaux modes", faisant suite aux constats évoqués lors de la session précédente consacrée au vélo. Il a donc évoqué ce mode ainsi que les modes partagés et la prise en compte des flux logistiques comme les sujets qu’il cherche à intégrer dans le modèle strasbourgeois. Il décrit le manque de données comme limite principale à cette intégration, à la fois due aux faibles parts modales des modes à intégrer (vélo + vls, covoiturage, autopartage, …) donc peu d’information, et à la difficulté de comptabiliser les flux logistiques car les VUL sont parfois comptabilisés avec les PL ou les VP selon les comptages.

Enfin, Hervé Genest (IdFM) a une nouvelle fois évoqué une limite de la modélisation statique en revenant sur la difficulté de prévoir la demande de transports en commun. En effet, il a rappelé que le modèle de la région était calibré sur une enquête pré-covid, et que depuis cette période, les habitudes de déplacements ont pu varier. Il existe notamment des lignes pour lesquelles l’heure de pointe matin n’est plus dimensionnante ou encore d’autres avec des baisses constatées en semaine et des hausses le week-end par rapport aux données pré-covid. L’ajustement des modèles se fait donc ad hoc en s’appuyant sur les données observées, et demande donc des calages qui peuvent contredire les résultats d’enquêtes passées avant la crise sanitaire.

La discussion s’est ensuite portée vers les élus, notamment sur le fait de ne pas nécessairement communiquer sur ces ajustements afin de ne pas discréditer la capacité prédictive des modèles auprès des décideurs. 

 

Arnaud Bouissou - TERRA

 

Les perspectives

Léa Christophe (AGATE) a introduit cette deuxième partie en réponse à cette dernière discussion. Elle a évoqué la mise à jour du modèle de l’ouest savoyard. Elle a rappelé que ce modèle rassemblait une grande diversité de territoires et d’acteurs (des communes centrales comme Chambéry ou Aix‑les‑Bains, ainsi que 7 EPCI notamment). Selon elle, l’implication des élus dans les processus d’hypothèses posées dans le modèle permet d’éviter les problématiques précédemment citées. Elle insiste sur l’importance de la pédagogie, notamment des outils de visualisation, afin de connecter le processus de modélisation aux préoccupations concrètes des décideurs.

Ouassim Manout (LAET) a ensuite développé la place que pouvait occuper un outil différent des modèles statiques agrégés utilisés par la grande majorité des collectivités : le modèle multi-agent. Il a tenu à rappeler que si cette approche diffère de celle des modèles à 4 étapes, il ne faut pas pour autant les opposer. L’approche multi-agent n’est selon lui pertinente à utiliser que lorsque l’on se pose des questions spécifiques auxquelles les modèles statiques répondent mal par construction. Il a alors cité l’exemple des modes où demande et offre interagissent comme étant les sujets les plus pertinents à court terme, faisant notamment écho au sujet des nouveaux modes évoqués en section précédente. La limite principale à la mise en place à large échelle est avant tout le coût humain, car les ingénieurs reçoivent peu de formation à l’outil à l’heure actuelle. Les problématiques techniques notamment liées aux temps de calcul pourront être résolues à moyen terme selon lui, à la faveur d’optimisation des programmes et des gains de puissance de calcul dans le temps.

Enfin, Antonio Sciarretta (IFPEN) a développé l’approche de backcasting, qui consiste, a contrario des modèles utilisés actuellement, à considérer les objectifs à atteindre (comme une réduction de gaz à effet de serre) comme variable d’entrée pour explorer les trajectoires qui peuvent y conduire. Il a également rappelé que de nouveaux types d’outils peuvent s’insérer dans cette approche. Les différents techniciens issus de collectivités territoriales se sont montrés intéressés par cette approche, étant confrontés à des objectifs parfois complexes à atteindre dans la version actuelle de leurs modèles. 

Plusieurs autres sujets ont été évoqués lors de la discussion, comme l’utilisation de l’IA dans les modèles. Les chercheurs ont néanmoins semblé nuancer son impact prédictif car elle ne permettra pas en elle-même une meilleure compréhension des comportements de mobilité. Les chercheurs travaillent avant tout pour améliorer la capacité prédictive des modèles, ce qui nécessite des moyens humains, financiers mais aussi du temps. Cela illustre le potentiel de la recherche à répondre à des problématiques opérationnelles à long terme, sans pouvoir répondre (car non-contrainte) aux impératifs de court terme.

 

La session stands

Durant plus de 2 heures, des porteurs de solutions ont pu nous présenter leurs outils et discuter de leurs potentiels usages. Nous remercions les participants suivants qui par leur présence ont généré de riches temps d’échanges :